Sur 146 minutes de débat entre les deux candidat.e.s à l’élection présidentielle, 3 secondes ont été consacrées à l’égalité des genres, 59 secondes au handicap et 90 secondes aux féminicides, décompte
. De fait, sans surprise, ni Emmanuel Macron ni Marine Le Pen ne faisaient figures de candidat.e.s favori.e.s auprès des militant.e.s féministes, antiracistes, LGBTI ou encore écologistes.
A l’approche de la Présidentielle, certaines associations féministes ont souhaité vérifier à quel point les candidat.e.s avaient pris conscience des enjeux féministes et les avaient (ou non) intégrés dans leurs programmes. C’est le cas de l’association «
» qui dès le 7 mars a passé au crible les programmes des 12 candidat.e.s alors en lice dans la course à la présidentielle,
». Emmanuel Macron y apparaît dans la case «
» (Ndlr : pratiques de marketing utilisées pour faire croire que l’on se préoccupe des questions féministes) ; tandis que Marine Le Pen figure a l’extrême opposé du mot « féminisme ». «
», analyse Fabienne El-Khoury, militante féministe et porte-parole d’« Osez le féminisme » depuis plus de deux ans.
».
De fait, la candidate du Rassemblement National ne mentionne « les femmes » que dans quelques occurrences de son programme. La première, quand elle aborde les violences conjugales, et promet de juger « dans des délais très brefs », les conjoints et ex-conjoints violents, et affirme que les mesures de protection des victimes seront « efficaces », sans en dire plus sur ces dernières. La deuxième, lorsqu’elle précise que les personnes condamnées pour outrages sexistes feront l’objet d’une inscription au fichier des criminels et délinquants sexuels. « Elle ne parle des violences faites aux femmes que dans un vocabulaire sécuritaire, en laissant entendre que les agressions n’arrivent que dans la rue, et ne sont le fait que d’étrangers. Or on le sait, si l’on prend le seul exemple des viols ou tentatives de viol, dans 91% des cas ils ont été perpétrés par une personne connue de la victime. Et elle ne propose rien pour lutter contre ce fléau que sont les violences intra-familiales ».
Autre proposition passée au crible du “féministomètre”, Marine Le Pen veut doubler le soutien aux mères isolées, tout en renforçant les contrôles pour éviter les fraudes. Une mesure jugée très stigmatisante par « Osez le féminisme ». « Ça renvoie l’idée qu’il y a un risque que les femmes qui ont recours à ces droits, fraudent » ajoute Fabienne El-Khoury. « En plus de cela, le fait de renforcer le contrôle, va aussi allonger les démarches qui sont déjà longues et compliquées pour les mères isolées ». Autre grande crainte de voir Marine Le Pen arriver au pouvoir : voir les droits en matière d’IVG reculer, la candidate parlant depuis des années d’« IVG de confort ». « Cette expression relève complètement d’un discours « anti-IVG ». Elle sous-entend que les femmes ont recours à l’avortement comme à un moyen de contraception, or on voit bien que ça ne colle pas avec la réalité ». Comme le relève l’Insee dans un rapport sur la contraception datant de 2017, seules 3 % des femmes de 15 à 49 ans, non stériles, ayant des rapports hétérosexuels et ne voulant pas d’enfants, n’utilisaient pas de moyens de contraception en tombant enceintes. « De plus quand en 2020, il a été question de rallonger de 12 à 14 semaines les délais de recours à l’IVG en France, Marine Le Pen était contre. On voit très bien que l’IVG est menacé avec elle. »
Comme elle l’a rappelé lors du débat de l’entre-deux-tours, la candidate d’extrême-droite souhaite aussi interdire le port du voile dans l’espace public. Elle a annoncé, parmi ses premières mesures, la mise en place d’un référendum pour stopper l’immigration, mais aussi pour « contrôler nos frontières, expulser les clandestins et délinquants étrangers ». Elle souhaite aussi mettre en place ce qu’elle nomme la « priorité nationale » dans « l’accès au logement et à l’emploi ». Autant de mesures discriminatoires qui ont poussé plusieurs associations anti-racistes, à prendre fermement position dans ce second tour et à appeler à ne pas voter Marine Le Pen.
C’est le cas de SOS Racisme, qui l’explique en ces termes dans une tribune publiée ces derniers jours, co-signée par des dizaines d’associations anti-racistes : « En rejetant Marine Le Pen, il s’agit d’empêcher l’avènement d’un projet de société destructeur de l’État de droit, de la république démocratique sociale et solidaire que nous défendons chaque jour. Il s’agit de dénoncer son programme trompeur qui frapperait durement les plus faibles, les plus démunis, les femmes, les personnes LGBTI ou étrangères. »
Emmanuel Macron : le féminisme washing et la politique du « moins pire »
Emmanuel Macron s’est engagé tardivement dans la course à l’élection présidentielle, le 3 mars au soir dans une «
Lettre aux Français ». Depuis, il n’a esquissé que quelques grands axes de ses positions en faveur des droits des femmes. Parmi elles : le triplement du montant de l’amende des délits d’outrages sexistes. Le doublement du nombre d’enquêteur.euse.s sur les sujets de violences intra-familiales et faites aux femmes, et la création d’un fichier des auteur.e.s de violences conjugales. Un rapport publié par Oxfam, revient toutefois sur le bilan en demi-teinte du quinquennat écoulé en matière d’égalité, avec un titre qui en dit long : «
Grande cause, petit bilan ». Selon l’association de lutte contre la pauvreté et la crise climatique, ce qui pêche le plus dans le “quinquennat Macron” est le peu de moyens financiers alloués pour l’égalité femmes-hommes. Le rapport rappelant notamment que : la France est 26ème sur 30 au classement des pays donateurs de l’aide en faveur des droits des femmes. Et également que la politique en faveur de l’égalité femmes-hommes représente 0,25% du budget de l’État sous ce dernier quinquennat. Quinquennat dont la « grande cause » était censé être l’égalité femmes-hommes.
Une égalité dont le candidat Emmanuel Macron a à nouveau annoncé vouloir faire la “
grande cause” de son mandat, à la stupeur des associations féministes. «
Son bilan est bien loin d’être suffisant », commence Fabienne El-Khoury. «
Il y a bien quelques mesures, notamment législatives, vécues comme des victoires féministes, mais on a du aller les arracher, ces victoires ». Parmi elles, on peut citer l’interdiction du recours à la médiation familiale en cas de violences intrafamiliales adoptée en 2020, l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur les mineur.e.s de 20 ans à 30 ans (même si les militant.e.s demandaient aussi l’imprescriptibilité), ou encore
l’allongement du congé paternité à 28 jours, même si là encore, les militant.e.s aspiraient à son obligation partielle afin que l’impact sur l’égalité femmes-hommes soit plus concrète.
Mais il y aussi les choses qui ne passent pas dans le bilan du Président sortant. «
Il a quand même désigné en ministre de l’Intérieur un homme accusé de viol, Gérald Darmanin. Et l’a bien vu, étrangement ça a donné un non-lieu. En parallèle, il a nommé Ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti, connu pour ses propos et prises de position extrêmement misogynes. Et ça c’est insupportable », ajoute la porte-parole d’Osez le Féminisme. Pour autant, comme bon nombre d’associations et de militant.e.s féministes, Osez le Féminisme appelle à voter Emmanuel Macron, pour faire barrage à l’extrême-droite. «
Par rapport à un régime fasciste, au moins on aura toujours le droit de manifester », explique Fabienne El-Khoury. De fait, à titre d’exemple, Marine Le Pen a rappelé vouloir instaurer la “
présomption de légitime défense” pour les policiers et gendarmes. Une mesure parmi d’autres, qui fait douter de la continuité d’un État de droit si elle était élue. «
Nous faisons barrage à Marine Le Pen. Son programme, son discours, ses soutiens, tout est anti-femmes, anti-LGBT, anti personnes victimes de racisme. On sait bien que le programme d’Emmanuel Macron, c’est du féminisme washing, mais ce n’est pas ouvertement la guerre contre les droits des femmes. Avec Marine Le Pen, ce serait le cas ».
Autre enjeu majeur de ce nouveau quinquennat : l’écologie.
Le dernier rapport du GIEC est sans appel : d’après les expert.e.s de l’évolution du climat, l’humanité ne dispose plus que de trois ans pour réduire ses émissions de CO2, afin de conserver un monde « vivable ». Pour autant, dans le débat de l’entre-deux-tours et d’après l’écoute minutieuse
de la journaliste politique et économique Salomé Saqué, seules 18 minutes sur 2h50 d’échange, ont été consacrées à l’urgence écologique. «
Que ce soit Macron ou Le Pen à la présidence, l’écologie sera ignorée“, commente Anna Katarina Topenot, de
Youth For Climate, un mouvement rassemblant des jeunes du monde entier qui réclament des actions en faveur de l’écologie. «
Le bilan d’Emmanuel Macron est terrible. Les tribunaux de son propre pays l’ont condamné pour inaction climatique. Cela résume tout, je pense. » De fait, en novembre 2021,
le tribunal de Paris a condamné l’État français à réparer les dommages causés par son inaction climatique d’ici le 21 décembre 2022. «
Les auteur.e.s même du GIEC le disent : le problème n’est pas scientifique, il n’est pas technique, il est politique », ajoute la militante de YFC.
Mais face à l’extrême-droite et faute d’autre option, Youth For Climate, comme d’autres mouvements ou associations écologistes dont Greenpeace, ont fait leur choix entre les «
cinq ans perdus pour le climat » d’Emmanuel Macron, et une « menace sans équivalent avec l’extrême-droite ». «
Le programme de la candidate du Rassemblement National sur l’environnement est dangereux pour le climat » note ainsi Greenpeace dans son communiqué, appelant ainsi à faire le choix du candidat LREM.
« Voter, militer manifester, désobéir… Nous continuerons d’agir ! »
Après la stupeur qui a succédé aux résultats du 1er tour, un regain d’espoir a semblé renaître ces derniers jours dans les milieux militants. Du côté de Greenpeace et dans le même communiqué que cité plus haut, les derniers paragraphes commencent comme suit: «
Voter, militer manifester, désobéir… Nous continuerons d’agir ! ». Avant de rappeler l’importance de voter aux élections législatives de juin prochain : «
Aller voter aux élections législatives des 12 et 19 juin prochains afin d’élire une Assemblée la plus ambitieuse possible sur les enjeux sociaux et écologiques, pour peser sur l’action du ou de la futur·e président·e ».
Un espoir partagé par Anna Katarina Topenot. «
S’il y a une cohabitation, nous pouvons espérer un changement. Nous avions à portée un vrai programme écologique et social, à 400 000 voix près seulement », explique la militante écologiste. Ce programme, c’est celui de Jean-Luc Mélenchon, candidat La France Insoumise, arrivé à la troisième marche du 1er tour et qui appelle d’ailleurs les Français.e.s
à le faire élire Premier Ministre, en votant pour une majorité de député.e.s “insoumis.e.s” aux Législatives. Si un telle cohabitation s’opère, alors Anna Katarina Topenot y croit : certaines mesures urgentes pour le climat pourraient être mises en place. Elle cite pour exemples «
les moyens de transports gratuits pour toustes, que le train ne soit pas plus cher que l’avion pour un vol interne. Nous voulons également que les plus riches qui polluent le plus soient également punis pour ça. On le rappelle, les 1% des plus riches émettent 110 tonnes de CO2 par an et par personne. »
«
Je vais voter Macron dimanche » explique Fabienne El-Khoury, «
mais dès lundi je vais reprendre le combat contre la politique d’Emmanuel Macron et contre les positionnements d’extrême-droite ». D’ailleurs, dans un texte intitulé, «
Nous Présidentes », Osez le Féminisme détaille ses 12 mesures phares pour atteindre l’égalité. Des mesures envoyées à toustes les candidat.e.s mais que ni Marine Le Pen ni Emmanuel Macron n’ont accepté de signer. Parmi ces mesures : la reconnaissance de l’amnésie traumatique, une santé féministe, la révocation de tout élu condamné pour violences ou encore une éducation non sexiste de la petite enfance à l’université. Mais ce qui tient le plus à cœur aux militant.e.s est la demande de débloquer un milliard d’euros pour la lutte contre les violences conjugales. «
C’est l’urgence absolue. Cela permettrait notamment de financer des logements d’urgence pour les femmes victimes de violences : car si elles n’ont pas de logements alternatifs, elles vont rester », conclut Fabienne El-Khoury. Pas plus de réponse non plus de la part des candidat.e.s pour cette
tribune co-signée le 5 février dernier par la Présidente de la fondation des Femmes, ou encore la co-Présidente du Planning familial.
« Je vais voter Macron dimanche » explique Fabienne El-Khoury, « mais dès lundi je vais reprendre le combat contre la politique d’Emmanuel Macron et contre les positionnements d’extrême-droite ».
Au début du mois d’avril, l’association « SOS Homophobie » a par ailleurs également dressé un constat amer : sur douze candidat.e.s, seul.e.s cinq avaient des propositions pour lutter contre les LBGTphobies. Il s’agissait d’Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou et Fabien Roussel. Autrement dit, aucun.e des deux candidat.e.s restant.e.s n’en font mention dans leurs programmes. «
Ce silence en dit long sur la prise en compte des personnes LGBTI dans cette campagne et pour les cinq années à venir », concluent les militant.e.s d’ SOS Homophobie dans un
article diffusé sur leur site internet. «
Avant de rappeler que le summum a été atteint pendant cette campagne, lorsque les propos homophobes sont sortis de la bouche même de certain.e.s candidat.e.s : iels citent par exemple Marine Le Pen, qui indique régulièrement qu’elle compte soumettre la « PMA pour toutes » au référendum, comparant le fait qu’un état civil mentionne « deux mamans » à un « mensonge d’État ».
Ainsi, dès l’annonce du second tour, certaines associations telles que la Fédération LGBTQI+, ont appelé
dans des tribunes à «
ne pas donner une seule voix à Marine Le Pen ». «
Certes, les positions décevantes d’Emmanuel Macron sur nos revendications sont timorées, voire conservatrices, peut-on lire dans cette tribune. Il a récemment refusé de reconnaître la responsabilité éducative de l’école primaire en matière de lutte contre les discriminations, tout en exprimant son scepticisme pour le collège. […] Dans ce contexte, on peut choisir de voter pour Emmanuel Macron par conviction ou par défaut. […] En tout état de cause, nous appelons au minimum à ce qu’aucune voix LGBTI+ n’aille à Marine Le Pen ».
Au moment où nous bouclons ces lignes, soit jeudi 21 avril au soir, SOS Homophobie vient également d’appeler à faire barrage au Rassemblement National
dans un communiqué : «
Face aux aspirations du RN, nées des heures les plus sombres de notre histoire, à gouverner notre République, SOS homophobie se doit, pour la seconde fois, de se départir de son apartisianisme, et ne peut qu’appeler, solennellement, à voter contre Madame Le Pen et en faveur d’Emmanuel Macron. » « J
’espère ne pas voir Marine Le Pen élue dimanche », termine Fabienne El-Khoury. «
Ce serait une très mauvaise nouvelle pour les droits des femmes et les droits des minorités. »