Photo : Portrait de Sacha*, par Solène Milcent
On est dans une société qui a mis le PIB avant l’épanouissement. On devrait penser davantage au Bonheur Intérieur Brut, qu’au Produit Intérieur Brut. Je pense travailler dans cet interstice-là.
Certes, c’est monétisé. Mais ce n’est pas motivé par l’appât du gain. Je n’ai absolument aucune chance de devenir riche avec ce que je fais.
•
On peut en survivre, mais ce n’est pas un chemin d’enrichissement financier pour un homme qui fait ça aujourd’hui, clairement.
En revanche, j’espère apporter ma modeste pierre à la libération globale d’un système qui nie qu’on puisse bander, mouiller, être obsédé.e. par ça. Parfois.
Tout ça étant nié, cela engendre des frustrations, des rejets, des tabous, des blocages mentaux en nombre. Tu vois par exemple on est assis là, depuis 2/3h à cette terrasse. On a vu passer des centaines ou des milliers de gens. Tu peux te dire que 5% – je dis ce chiffre, par expérience- d’entre eux sont dans la misère sexuelle. C’est-à-dire au sens où vraiment, ils sont dans une détresse sexuelle ou absence totale de sexualité. 5%. Et ça ne veut pas dire que tou.te.s les autres sont épanoui.e.s. Il y a aussi tou.te.s ceux/elles qui se contentent d’une sexualité un peu routinière, monotone. A laquelle iels se sont habitué.e.s, parce que ça fait 20 ans qu’ies se sont dépucelé.e.s, et ça continue à être la même chose qu’au début. Et parmi nos client.e.s, on voit arriver des quadra, des quinqua, qui ont envie de tout changer. Tu as forcément entendu ces histoires : du genre un mec qui a 40 ans, 2-3 enfants, et qui divorce de sa femme et se met avec un mec. Il y a des périodes-charnières comme ça dans la vie, où on décide de relancer la roue pour soi. Et bien souvent, le fait de se réapproprier sa sexualité en fait partie, elle est même en tête de liste en général. Pour les hommes comme pour les femmes.
•
Et je pense que si on était dans un monde qui tolère une plus grande liberté sexuelle, cela contribuerait à une société moins violente sexuellement.
” J’espère apporter ma modeste pierre à la libération globale d’un système qui nie qu’on puisse bander, mouiller, être obsédé.e. par ça. “
« Thérapute ». Le mot vient d’une collègue TDS (travailleuse du sexe), qui dit que les gens qui viennent vers nous ne sont pas tant des client.e.s que des patient.e.s. Patient.e.s de frustration, patient.e.s parce que victimes d’un viol ou d’un abus, ou d’une honte passée. Des évènements qui auraient bloqué quelque chose. Bref, il y a mille exemples de blocages sexuels.
•
Et quelquefois le ou la prostitué(e) devient un vecteur pour ces personnes, pour se réapproprier leur corps. Et pour – peut-être pas “résoudre le problème” – mais en tous cas, l’apprivoiser, le dominer.
Quand on se passionne pour ces milieux, où l’on assume sa sexualité, on découvre qu’il y a beaucoup de femmes et d’hommes qui portent un trauma, parfois inconscient, qui les a amené à être dans une démarche de libération sexuelle. Tous ne viennent pas du traumatisme, évidemment. Mais il y a en plein qui en viennent. Et qui mettent un certain temps à le réaliser.
•
Là où ça peut être cathartique, c’est qu’on peut tenter de transcender la scène traumatique. De la dépasser pour en faire une nouvelle force en soi. Au lieu d’avoir un boulet qu’on traîne à la cheville.
Si l’on prend l’exemple de femmes victimes d’abus sexuels ou de viols, il y en a qui vont fuir la sexualité en réaction à leur viol. Une autre réaction peut être d’hyper-sexualiser leur future sexualité après avoir été violées. L’une pour ne plus jamais entendre parler de cette horreur. L’autre, pour se réapproprier son corps.
“« Thérapute ». Le mot vient d’une collègue TDS (travailleuse du sexe), qui dit que les gens qui viennent vers nous ne sont pas tant des client.e.s que des patient.e.s. […] Il y a mille exemples de blocages sexuels.”
Dans ces cas, l’une des options lors d’une séance, c’est de rejouer le scénario traumatique, en changeant la fin. C’est-à-dire en se disant : « Un jour, il m’est arrivé … Suivi de « sauf qu’à la fin, on aurait dit que ça se finissait bien ». Par exemple, on peut rejouer tous les préliminaires d’une scène de violence sexuelle subie, mais avoir prévu une astuce scénaristique qui fait qu’à la fin, la victime de cette histoire, dans le moment où elle le rejoue, se réapproprie l’événement traumatique. Cette fois, elle ne part pas. Cette fois elle réussit à mettre un terme à un geste, à un rapport non-désiré. Cette fois en face elle a un allié, et on réécrit l’histoire. Là ça peut être cathartique.
•
Après ça ne fait pas des « théraputes » des thérapeutes. Nous ne sommes ni des psychologues, ni des psychiatres. Le problème c’est qu’on marche sur des œufs. Non seulement je ne suis pas médecin, mais en plus il y a certains traumatismes où j’ai peur de mettre les mains, parce que j’ai peur de faire plus de mal que de bien. Ou de m’abimer moi. Il faut bien être conscient que quand on sort quelqu’un d’une situation comme celle-ci, on prend sur soi aussi. Ca demande beaucoup d’énergie, on puise aussi dans son propre bonheur pour aider le bonheur de l’autre.
Propos recueillis par Jessica Martinez,
Le 26.09.2020