Le consentement jusque sur le dancefloor
Avec la réouverture des boîtes de nuit il y a une semaine, la rédaction de Culot s’est dit qu’il était grand temps de faire un point sur le respect du consentement sur le dancefloor. Nous nous sommes donc entretenues avec Mathilde Neuville, la cofondatrice de “Consentis Info”. Créée en 2018, cette association promeut une culture du consentement et lutte contre les violences sexuelles dans les lieux festifs. Quels sont les gestes à adopter pour s’assurer que tout le monde passe une bonne soirée ? Entretien.
Comment en êtes-vous venues à cofonder Consentis Info ?
Avec Domitille Raveau, co-fondatrice de “Consentis Info”, aussi ma meilleure amie, nous sommes toutes les deux passionnées de musiques électroniques. On aime beaucoup sortir dans des événements électro, voyager pour se rendre dans certains festivals. Nous nous sommes rendu compte que certains pays étaient bien plus avancés sur la prévention des violences sexistes et sexuelles dans le milieu festif que la France.
Nous avons réalisé le poids de la charge mentale quand on se rendait dans des lieux festifs, ce qui ruinait notre expérience. Autour de nous, on entendait beaucoup de témoignages de violences, et on ne trouvait pas d’initiative qui sensibilisait spécifiquement en milieu festif. Domitille est psychologue sociale de formation, je suis curatrice musicale dans une agence de supervision de musique, on a donc eu l’idée de créer nos propres campagnes de sensibilisation et d’affichage. Pour cela, on s’est lancées en menant une étude quantitative auprès de plus de 1000 fêtard.e.s pour faire l’état des lieux des violences sexuelles dans les lieux festifs. Ça a été le point de départ de l’association. Maintenant cela fait trois ans que l’on existe.
En parlant de ce questionnaire, les personnes interrogées se sont vues demander pourquoi iels fréquentent des lieux festifs. D’après les réponses obtenues, ça serait à 80% pour danser, et à 75% pour écouter de la musique. L’envie de draguer est donc vraiment secondaire, malgré les préjugés.
On décrit souvent les clubs et les boîtes de nuit comme des lieux de drague et de rencontre. Mais ce sont aussi des lieux culturels, des lieux d’expression où on a envie d’aller pour se détendre, danser, passer du temps avec ses ami.e.s. L’objectif n’est pas forcément de “pécho”.
Ce sont des lieux très teintés de culture du viol. Le fait que ces lieux vivent la nuit joue aussi : la nuit, on se permet de faire des choses qu’on ne ferait pas le jour. La nuit, dans les milieux festifs, il y a ce côté “hors du temps”.
Comment est-ce que vous sensibilisez les fêtard.e.s au consentement, et quels retours, quelles réactions avez-vous de leur part ?
Après avoir réalisé cette étude, on a voulu partager les résultats alarmants. On a participé à des événements de sensibilisation, des conférences, mais surtout on a fait des stands de sensibilisation dans les lieux festifs pour aller directement à la rencontre des fêtard.e.s afin de leur parler de ses résultats.
On est arrivées dans les boîtes de nuit et dans les festivals avec un stand classique de RDR (Réduction des Risques) axé sur le consentement. On attirait les regards avec nos affiches, notamment le slogan : “Plus de danseur.euse.s, moins de frotteur.euse.s”. On ouvrait le dialogue en partageant les statistiques de l’étude, pour sensibiliser au consentement.
C’était notre intention mais cela s’est passé différemment. Nos stands sont devenus de véritables lieux de témoignages. Il y avait un véritable besoin des fêtard.e.s de libérer la parole sur ces questions de harcèlement et d’agression sexuelle en milieux festifs. Très souvent, des gens venaient à notre stand pour nous raconter des violences qu’iels avaient vécues. Parfois même l’année d’avant mais iels n’avaient pas su où se diriger pour en parler. Les gens ont également beaucoup de questions pratiques sur des situations auxquelles iels ont assisté mais n’ont pas su comment réagir.
On a donc introduit de la formation en interne pour nos bénévoles pour apprendre l’accueil et la réception de la parole des personnes victimes de violences. Maintenant on pense nos lieux comme des espaces inclusifs et bienveillants où on peut se sensibiliser aux questions autour du consentement, partager ses expériences et poser ses questions.
Comment leur expliquez-vous la différence entre “drague” et “culture du viol” ?
Dans la manière dont on le présente, on explique que si le consentement est obligatoire, ce n’est pas forcément un “contrat” que l’on doit signer. Ça peut être sexy. On parle de drague, on explique comment draguer dans le consentement. Après ces échanges, on rassemble les informations et les témoignages que l’on a reçus et on fait un retour aux organisations pour que des mesures soient prises en compte aux prochains événements.
On se rend aussi compte d’un phénomène : les fêtard.e.s se sentent plus en sécurité avec les bénévoles Consentis Info qu’avec les agent.e.s de sécurité. Iels sont plus à l’aise de venir nous signaler un fait de violence. C’est la peur de ne pas être cru.e, de s’entendre dire : “je ne peux rien faire, je n’ai rien vu”. Voire même la peur d’être culpabilisé.e avec des phrases trop souvent entendues telles que : “en même temps tu a l’air d’avoir bu, tu es sûr.e de ne pas avoir provoqué la chose ?”. Ce genre de propos renforcent la culture du viol, ils ne devraient jamais être dits à une personne qui signale un fait de violence.
Votre questionnaire a aussi révélé que plus d’une personne s’identifiant comme femme sur deux ne sent pas en sécurité quand elle est seule dans un lieu festif. Concrètement, qu’est-ce qu’il est important de mettre en place, ou de supprimer dans les lieux de fête (bars, clubs, festivals) pour assurer un espace plus sécurisé pour toutes et tous ?
Les violences sexuelles en milieu festif ont toujours été là, les victimes ont toujours parlé mais personne ne les a écoutées. Cette médiatisation récente, cette libération de la parole des victimes font qu’il y a eu une prise de conscience et que les organisations se disent qu’elles ont la responsabilité de faire de la prévention sur le consentement et les violences sexistes et sexuelles.
Ce qu’on recommande en priorité c’est la formation des organisateur.ice.s d’événements. Il faut qu’iels soient sensibilisé.e.s aux questions de consentement et de violences sexuelles. C’est primordial pour réagir aux signalements de violences et pour la prise en charge de la personne victime et de la personne autrice.
Il faut également développer des politiques de sécurité. Ce que l’on recommande aux organisations c’est de développer des chartes internes et externes pour leurs événements. Les chartes internes fixent les rôles de l’équipe en interne. Ce protocole doit être pensé en amont car les faits de violences sexistes et sexuelles se passent souvent très vite. Il faut donc être préparé.e à savoir qui prend en charge la personne victime, qui fait le lien avec la sécurité, etc.
Les chartes externes sont destinées aux fêtard.e.s. Elles spécifient ce qui est toléré et ce qui est intolérable sur le festival. Ce qui permet aux communautés minorisées de se sentir inclues dans l’événement. C’est important de préciser qu’elles sont les bienvenues, qu’il y a des mesures en place pour qu’elles s’y sentent en sécurité, que le personnel est sensibilisé pour leur parler. On recommande aux organisations de communiquer cette charte bien en amont de l’événement avec leur communauté.
Pour prévenir les violences, on peut aussi organiser des maraudes avec des personnes formées aux violences sexistes et sexuelles, qui interviennent si une situation leur paraît problématique. On peut se référer à la “méthode des 5D” pour intervenir en tant que témoin d’une agression.
Il y a une vraie charge mentale, lorsque l’on est une femme ou une minorité de genre et que l’on sort faire la fête. Beaucoup de questions viennent tout de suite à l’esprit (comment on s’habille, à quelle heure on part, comment on rentre, etc.) Comment est-ce que cette notion de danger du monde la fête impacte l’expérience des femmes et des personnes sexisées ?
La charge mentale s’établit à partir du moment où on va choisir notre tenue avant de sortir. Il y a un impact sur le bien-être, le sentiment de sécurité, le budget…
Pour parler d’une expérience personnelle, il y a plusieurs années, avant que j’aie réellement conscientisé que le milieu festif était aussi ma place et que j’ai le droit de m’y exprimer, j’avais les cheveux assez longs. Je me faisais une queue de cheval et je m’installais au premier rang car je me disais “comme ça pas de frotteurs devant”. Et je dansais en mouvement de balancier pour faire bouger ma queue de cheval, tout ça dans le but unique de dissuader les frotteurs ! Depuis j’ai réalisé à quel point c’était absurde que j’en sois arrivée là alors que j’ai le droit d’être là.
En dehors de l’espace de fête, quand tu dois rentrer chez toi de nuit, l’espace public est dominé par les hommes, on a l’impression qu’il est réservé aux hommes. Quand on s’y déplace on s’y sent observé.e, mal à l’aise et pas en sécurité. Donc la charge mentale se transforme aussi en charge financière, par exemple, pour se déplacer en taxi dans le but de ne pas être victime de harcèlement ou de violences en rentrant de soirée.
Dans les cas les plus extrêmes, il y a des personnes qui ont arrêté de sortir pour ne plus avoir à faire à tout cela. On a entendu des personnes nous dire, “sortir, si c’est pour me prendre des mains aux fesses toute la soirée, non merci”.
Concrètement aujourd’hui, qu’est-ce que les festivals, les boîtes de nuits et les endroits festifs ont mis en place pour prévenir des outrages sexistes, agressions sexuelles et viols ?
Je vais prendre l’exemple du festival “Astropolis” avec lequel on a travaillé. Iels ont fait un super travail en mettant en relation différentes associations locales avec Consentis Info pour créer un dispositif de prévention contre les violences sexistes et sexuelles. À la fois avec l’agencement de l’espace, les développements des chartes internes et externes, la signalétique communiquée au préalable pour s’avoir à qui s’adresser, l’aménagement d’une zone de sécurité… Et toute cette campagne a été communiquée dans leur charte graphique. Cela a plus d’impact quand les festival s’approprient la communication autour de la prévention, car on reconnaît leur identité graphique.
Il y a des soirées qui ont développé des concepts de signalement, dont “Ask for Angela” qui vient d’Angleterre (NDLR : Ce même mot-clef a aussi été utilisé par Marlène Schiappa, la Secrétaire d’État à l’Egalité femmes hommes, qui a lancé le “Plan Angela” en mai 2020). En situation de harcèlement dans un bar par exemple, on s’adresse alors au staff en disant “je voudrais parler à Angela”. Je crois qu’en français on appelle ça aussi le “cocktail anti-relou” – dans le cadre du cocktail anti-relou on va demander le cocktail “à l’aide”. Dans les deux cas, la personne du staff est alors informée qu’une situation de harcèlement est signalée. Iel va pouvoir prendre en charge la personne victime de harcèlement, lui demander si elle a besoin de soutien, d’un taxi…
Dans certains dispositifs il y a aussi la prise en charge de la personne autrice : on discute avec la victime pour savoir si l’expulsion de cette personne suffit ou si elle souhaite contacter la police.
Vous avez réalisé une vidéo avec Trax Magazine à propos de la “dette sexuelle”. Peux-tu expliquer ce que c’est et comment cela s’applique au monde de la fête ?
La “dette sexuelle”, c’est le fait de se sentir redevable sexuellement, d’avoir l’impression que l’on doit un rapport sexuel à quelqu’un, ou le fait d’attendre d’une personne un rapport sexuel, lorsqu’il y a eu une faveur ou un service rendu. Par exemple, dans les milieux festifs, cela va être quand on te paye un verre, quand on te paye ton taxi retour ou qu’on t’invite en backstage. Peut-être que tu vas te dire “maintenant je suis obligé.e de flirter, de rentrer dans ce jeu de drague parce que je me sens redevable”. Et en fait, non ! On ne doit jamais de sexe à quelqu’un. Ce n’est pas OK d’attendre une faveur sexuelle en échange d’un service. Et ce n’est parce qu’on accepte un verre ou qu’on se fait payer le taxi que l’on doit un rapport sexuel à une personne.
Dans le monde de la fête, le facteur alcool est très présent. Le consentement et l’alcool ne font pas souvent bon ménage. Quelles sont les attitudes à adopter lorsque l’on entame de la drague voire une activité sexuelle avec une personne intoxiquée ?
Avec Consentis on définit le consentement en cinq points : enthousiaste, libre et éclairé, spécifique, réversible et informé. Le point “libre et éclairé” parle notamment de la consommation d’alcool, de stupéfiants, de produits psychoactifs. Une personne qui est trop intoxiquée ne peut pas consentir à un rapport sexuel.
Maintenant, que veut dire être “trop” intoxiqué.e ? Nous avons défini des signes de trop grande intoxication : de la somnolence, des difficultés à se déplacer et à communiquer et des trous de mémoire. Quand on remarque ces signaux lorsque l’on drague quelqu’un, alors la personne n’est pas en état de donner son consentement et a besoin d’aide. Demandez-lui “où sont tes ami.e.s, y a-t-il des personnes qui peuvent prendre soin de toi ?”, et surtout ne flirtez pas avec cette personne !
Quand on consomme de l’alcool ou des produits psychoactifs on doit être responsable de sa consommation et si on commet des violences sexuelles, c’est un facteur aggravant. On doit être conscient.e et transparent.e sur sa consommation. Ne pas hésiter à demander : “J’ai beaucoup bu, comment tu te sens, toi ?”. Il faut normaliser ces questions. Et savoir reconnaître que l’on est pas en état de s’assurer du consentement d’une personne ou de son propre consentement et le reporter, tout simplement.
Est-ce que la dominante masculine qui existe dans le milieu musical a une incidence sur le consentement dans le milieu de la fête ?
Les organisations, les line-ups, la sécurité, ce sont en majorité des hommes. Les lieux festifs sont un milieu complètement dominé par les hommes cis blancs. Il y a un vrai problème de racisme et de sexisme systémique dans l’industrie musicale.
Cela a été notre point de départ en créant les playlists Consentis Info, qui sont disponibles sur les plateformes de streaming musical. On a besoin de visibiliser des talents minorisés dans l’industrie musicale. Ce sont des rôles modèles empouvoirants qui, on espère, vont encourager des femmes, des personnes non-binaires et des personnes trans à se lancer dans l’industrie musicale, de sentir qu’iels ont leur place dans les line-ups.
Pour moi c’est devenu un critère de sélection pour les soirées. Si les bookeurs n’ont pas respecté un critère de représentativité, de parité dans les programmations, c’est qu’iels n’ont pas fait leur travail. Les bookeurs nous disent souvent : “On n’a pas trouvé de femmes à booker.” Du coup, le line-up est constitué de mecs cis blanc valides et hétéros. Pourtant, il y a plein d’artistes talentueuses et qui ont envie de jouer ! Mais on ne les invite pas, et quand on les invite, on les paye moins et elles sont victimes de sexisme.
C’est pour cela que l’on est si en retard sur la prévention contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu festif. Comment veut-on que les femmes et les minorités de genre s’y sentent en sécurité, s’y sentent écoutées, si elles ne sont pas représentées dans les parties prenantes de l’organisation de ces événements ?
Les mesures sanitaires pour entrer en boîte de nuit
Après seize mois de fermeture en raison de la pandémie de Covid-19, les établissements de nuit ont rouvert vendredi 9 juillet 2021, mais à certaines conditions.
- Pour entrer en discothèque, il faut présenter un pass sanitaire complet (deux semaines après la deuxième dose) ou un test PCR ou antigénique de moins de 48 heures
- Une jauge de 75% a été imposée pour les boîtes de nuit accueillant plus de 50 personnes – sauf pour les établissements en extérieur qui pourront ouvrir à 100%
- A noter qu’à partir de cet automne, les tests antigéniques et PCR deviendront payant
- A l’intérieur, les masques ne seront pas obligatoires
Cela dit, vérifiez bien que l’enseigne soit ouverte avant de vous y rendre. Dans ces conditions et avec les vacances d’été, une partie des établissements ont annoncé qu’ils préfèrent attendre la rentrée pour rouvrir leurs portes. Aussi, selon l’Internaute, d’après le SNDLL (Syndicat national des discothèques et lieux de loisir), sur les 1 648 discothèques que comptait la France avant la pandémie, 25% sont en difficulté, et 131 en liquidation judiciaire. Aujourd’hui, seules 1 500 boîtes de nuit pourraient rouvrir.