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Un samedi sur deux, on t’emmène à la rencontre d’une nouvelle thématique liée au combat féministe. Cette fois-ci, Jessica interroge la question de la PMA pour tou.te.s.x.
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PMA pour toutes, la fin d’une attente interminable ?
L’Assemblée nationale a adopté pour la troisième fois en deux ans, le projet de loi bioéthique et sa mesure phare de la PMA, l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires et aux couples de femmes. Promesse de campagne de François Hollande en 2012, reprise en 2017 par Emmanuel Macron, la « PMA pour toutes » pourrait enfin être adoptée définitivement par le Parlement le 29 juin prochain. La fin d’un long combat pour les femmes célibataires et lesbiennes : devenir mères quand et comme elles le souhaitent. Pourquoi ce texte semble-t-il si difficile à avaliser par les institutions françaises? Et cette loi, si elle est finalement validée telle qu’elle est aujourd’hui, répond-elle entièrement aux demandes de tous.tes.x et à la réalité de leurs besoins ?
« L’insémination qui a fonctionné était le 9 juillet 2015 ». Mariama Soiby connait cette date par cœur. Neuf mois plus tard, en avril 2016, elle donne naissance à une petite fille, née grâce à une IAD, une «Insémination Artificielle avec un Donneur», à Copenhague au Danemark. Avec 5 autres femmes, elle fait partie du bureau de Mam’enSolo, une association créée en 2018 pour accompagner les femmes célibataires dans leur parcours de PMA, la Procréation Médicalement Assistée. « Il existe plein d’associations pro-PMA LGBTQIA+, mais nous sommes la seule association française pour les femmes célibataires », précise Mariama. Ce qui rassemble ces deux communautés ? L’interdiction d’avoir recours à la PMA en France, car elle y est pour l’heure uniquement ouverte, depuis les lois relatives à la bioéthique du 29 juillet 1994, aux couples hétérosexuels, mariés ou non, ne parvenant pas à avoir d’enfant par voie naturelle. Conséquence ? Chaque année, des milliers de femmes célibataires et/ou lesbiennes partent à l’étranger pour avoir accès à un parcours PMA, ajoutant à un processus médical déjà compliqué et qui fonctionne rarement du premier coup, du stress et des dépenses très conséquentes. « Au total, j’ai fait 4 tentatives avant que cela ne soit la bonne”, poursuit Mariama. “Si on ajoute les rendez-vous chez les gynécologues, les prises de sang, les échographies, la procédure en elle-même, puis les hôtels à l’étranger et le départ du jour au lendemain au Danemark, tout additionné j’ai dépensé près de 15 000 euros. C’est un montant énorme. J’avais fait des économies, mais tout le monde est loin de pouvoir se le permettre. » Pour les couples hétérosexuels en revanche, les actes de PMA sont pris en charge à 100% par l’Assurance maladie, mais en fixant un “âge limite” : le 43ème anniversaire de la mère.
PMA sans pères, le parcours des combattantes
« J’ai d’abord eu affaire à une gynécologue qui acceptait “officiellement” de m’assister dans ce parcours, mais au final le suivi n’était pas sérieux et j’ai fini par me demander si elle n’était pas anti-PMA pour toutes”, se souvient Mariama. “Je n’avais pas de planning réel. D’ailleurs la clinique que j’avais choisie au Danemark pour pratiquer mon IAD a fini par me dire: “On ne vous accepte plus si vous ne changez pas de gynécologue.” Après deux tentatives infructueuses avec elle, j’ai en effet changé de praticienne, et je me suis enfin sentie bien encadrée. J’ai là encore connu deux échecs mais statistiquement cela reste logique : j’avais 36 ans au début de la procédure, donc 25 % de chances que ça fonctionne d’après les médecins. »
Pour les couples hétérosexuels éligibles à la PMA, la loi prévoit des congés pour se rendre aux rendez-vous médicaux inclus dans le processus de la procréation médicalement assistée. Des congés auxquels Mariama Soiby, par ailleurs avocate, n’était pas éligible, étant célibataire. « Ça a été un casse-tête. Quand on m’a appelée pour me dire “Venez, l’insémination se fera dans les 40h”, j’avais une audience très importante le lendemain à la Cour d’Appel. Une affaire assez dure émotionnellement sur laquelle je m’étais beaucoup investie. Et là je me retrouve avec cet appel à me dire “Comment je fais ?”. Je ne voulais pas lâcher mes clients comme ça, et en même temps je ne me voyais pas renoncer à mon rêve d’être mère. Heureusement une collègue a accepté de me remplacer au pied levé. Moi, j’ai appelé mes clients pour leur assurer que je les laissais entre de bonnes mains. Finalement, grâce à elle, on a eu gain de cause et je suis partie. Cette fois-là était la bonne, je suis tombée enceinte… mais tout ce stress ! Ça a marché pour moi ce coup-ci, mais ça aurait été tellement plus simple que je puisse le faire en France et dans les mêmes conditions que les femmes qui ont le droit de le faire juste parce qu’elles sont dans un couple hétérosexuel. »
Un parcours du combattant qui pourrait enfin prendre fin, après des années de débats en France. Dans la nuit du 9 au 10 juin 2021, les députés français ont soutenu le projet de loi bioéthique en troisième lecture, par 84 voix contre 43 et 3 abstentions. Prochaine étape : la loi repart désormais au Sénat le 24 juin, avant d’être potentiellement adoptée définitivement par le Parlement le 29 juin, d’après le calendrier gouvernemental.
PMA : une demande des femmes françaises de plus en plus grande
« Nous ne sommes pas un épiphénomène, comme on est trop souvent représentées dans les médias. » Pour en prendre conscience, Mariama Soiby, qui traque sans relâche la moindre étude ou article publié sur la question, nous conseille une lecture, celle de l’enquête publiée dans La Croix en janvier 2020, intitulée “PMA à l’étranger : des chiffres inédits.” Dans cet article, le journaliste part de la seule étude s’étant essayée à quantifier cet exode de la natalité : celle du chercheur belge Guido Pennings qui étudiant la période 2005-2007, estime à 760 par an le nombre de femmes françaises rejoignant la Belgique pour faire une PMA. Près de quinze ans plus tard, le journaliste français se lance dans sa propre enquête sur le sujet, et étend encore le curseur : il interroge quinze cliniques en Belgique et en Espagne ayant accueilli des femmes françaises en 2018, et le constat est sans appel : « La compilation des chiffres belges et espagnols donne donc une estimation minimale de 2 400 personnes. […] Le nombre de Françaises aurait donc pratiquement doublé en un peu plus de dix ans », écrit le journaliste dans son article. « Et encore cette enquête est elle-même incomplète, ajoute Mariama. Il le dit lui-même, il ne parle que de deux pays, et de seulement quelques dizaines de cliniques”. Or aujourd’hui en Europe, la PMA est autorisée pour les femmes seules et en couples lesbiens en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas, en Irlande, au Danemark, en Belgique, en Suède et en Finlande. « Donc c’est largement sous-estimé, c’est une vraie demande sociale », complète Mariama.
Un constat partagé par la sociologue et chercheuse à l’INED (Institut National d’Études Démographiques) Virginie Rozée : “C’est une population difficile à atteindre: quand les femmes reviennent en France, post-intervention, il n’y a aucun moyen de les “tracer”, car les médecins n’ont pas de suivi sur la manière dont les enfants ont été conçus.” Des chiffres manquants qui l’ont poussée à préparer avec d’autres chercheur.euse.s de l’INED un outil pour comptabiliser cet exode de la natalité médicalement assistée, via une enquête, mise en ligne dans les prochains mois. D’autant qu’en France, les mères célibataires existent déjà en grand nombre. Issues de la séparation de couples mariés ou non, elles représentent deux millions de foyers en France, car dans 82% des familles mono-parentales, c’est la mère qui a la charge de l’enfant.
PMA : la société est prête, les élu.e.s bien moins
Le débat pour l’ouverture à la “PMA pour toutes” ne date pas d’hier : demandée par des femmes et militant.e.s depuis des années, elle faisait partie des promesses de campagne de François Hollande dès 2012, reprise par Emmanuel Macron lors de sa propre campagne en 2017. Une lenteur qui met Mariama Soiby hors d’elle. « Je ne comprends pas qu’en 2021, avec tout le corpus littéraire que l’on a, on en soit encore à tergiverser sur le droit des femmes à pouvoir organiser leurs vies, fonder une famille comme elles l’entendent, disposer de leurs corps ! »
Pourtant la société française se montre de plus en plus ouverte à accueillir la PMA pour toutes : d’après la dernière étude Ifop publiée le 7 juin 2021, 67% des Français.es sont favorables à son instauration dans le cas des couples de femmes, et le même pourcentage partage cet avis en ce qui concerne son ouverture aux femmes célibataires. Alors qu’est-ce qui bloque ?
Pour la sociologue Virginie Rozée, qui a signé plusieurs enquêtes sur les femmes ayant recours à la PMA, le blocage vient plutôt des édiles: «Les résistances sont essentiellement au niveau politique aujourd’hui, avec des forces conservatrices très bruyantes.» De fait, le projet de loi est en débat depuis dix ans. En juillet 2019, impossible pour les député.e.s de la majorité de trouver le consensus avec leurs homologues du parti Les Républicains (LR) et de la droite sénatoriale. En témoignent, les échecs répétés du projet de loi à recevoir l’aval du Sénat, (premier graal nécessaire avant le passage en Assemblée Nationale) et cette année, les 1700 amendements déposés sur cette troisième lecture en commission. Motifs usités par la droite conservatrice, avec à sa tête, les députés Patrick Hetzel et Xavier Breton, ainsi que le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau ? Le sujet serait trop “sensible” et “non prioritaire au regard de la crise sanitaire”. De son côté, le collectif « La Manif pour tous », a manifesté les 7 et 8 juin aux abords du Palais Bourbon « pour défendre l’égalité des droits pour tous les enfants, à commencer par celui d’avoir un père et une mère. »
“On sent que la loi a ici du retard sur la société”
Virginie Rozée identifie plusieurs raisons aux crispations conservatrices entourant ce projet de loi. « La première, c’est qu’ouvrir la PMA à toutes les femmes, c’est porter atteinte à toutes les familles traditionnelles. En France, on a encore cette vision très ancrée selon laquelle le modèle familial c’est : une maman, un papa, et un enfant issu de leur union. Pour ces personnes très conservatrices, il y a cette peur que la loi vienne complètement perturber la société. Et ce, quand bien même aujourd’hui les familles sont plurielles, ouvertes, etc. On sent que la loi a ici du retard sur la société. Deuxième raison, ça donnerait davantage de pouvoir aux femmes. On le voit quand on entend les arguments des conservateurs “Une PMA sans père est inadmissible”, ou autre “Donc demain les femmes vont se reproduire sans hommes !”. Ça fait peur à certains de voir ce pouvoir leur échapper.” À cela vient s’ajouter selon la sociologue un amalgame entre les femmes ayant recours à la PMA et les familles mono-parentales “subies”. « Telles qu’étudiées en sciences sociales, ces dernières apparaissent parfois comme fragilisées économiquement. Alors qu’il ne s’agit pas du même profil, pas du même projet : dans le cadre des femmes ayant recours à la PMA, on a un projet qui est construit, avec des capitaux nécessaires accumulés avant de se lancer. Ces femmes ont souvent entièrement pensé le projet, mobilisé en amont leur famille et ami.e.s. Ce sont majoritairement des femmes issues de catégories sociales favorisées, avec un bagage éducatif, et un milieu socio-économique qui leur permet d’assumer une prise en charge à l’étranger. Ce n’est pas une maternité qui leur “tombe dessus”. »
“Je ne me suis pas lancée comme ça !”
Mariama Soiby a toujours su qu’elle voulait être mère, et s’y est préparée en conséquence : « Je m’étais dit à 25 ans, “si à 30 ans, je n’ai pas trouvé le bon partenaire pour le faire, je le ferai seule.” Mais je ne me suis pas lancée comme ça. De mes 25 à mes 35 ans, j’ai multiplié les recherches. J’ai voulu connaître les différentes méthodes, et avant même ça, j’ai cherché et trouvé des études qui parlaient du ressenti des enfants issu.e.s de la PMA. Je n’ai vraiment commencé le parcours pour avoir mon IAD qu’à 36 ans. » Des études qu’elle a conservées depuis et a à cœur de nous partager. « On entend souvent en critiques quand il s’agit de PMA : “Vous ne pensez pas aux enfants, à leur épanouissement, c’est égoïste”. Déjà je pense que faire un enfant est toujours égoïste. Ensuite, bien sûr qu’on y pense ! C’est même la première chose à laquelle j’ai pensé, et la première chose qui revient dans nos conversations avec les plus de 1200 membres de notre groupe de discussion privée sur le facebook de “Mam’enSolo”. En ce qui concerne les études, elles existent depuis près de 50 ans. »
Dans “Modern Families” (traduisez “Familles modernes”), Susan Golombok, chercheuse spécialiste de la famille et de ses évolutions, en arrive en effet à la conclusion que les enfants et jeunes adolescents qui ne sont pas au courant de leur conception semblent aller très bien. Et précise que le constat est le même dans les familles où le secret de la conception médicalement assistée a été levé.
« Sa conclusion est de dire que ce n’est pas la composition de la famille qui compte mais les interactions entre ses membres”, complète Mariama Soiby. “Un enfant désiré, choyé et aimé va s’épanouir et sera toujours heureux, qu’il soit élevé par un homme, une femme, deux femmes, deux hommes ou un homme et une femme, etc. Et il a fallu des études pour en arriver à cette conclusion ? Vraiment ? J’ai commencé à dire la vérité à ma fille intra-utéro, puis par la suite quand elle est née. Il y a en France une norme familiale imposée par les institutions, mais la norme de ma fille c’est notre famille. Elle a posé des questions vers deux-trois ans, je lui ai toujours dit la vérité. Finalement, ce qu’elle n’a pas connu (en l’occurrence ici un papa) ne lui manque pas. »
PMA pour toutes, mais pas pour tous.te.s.x?
Si plusieurs associations LGBTQIA+ se sont réjouies du retour du projet de loi bioéthique devant l’Assemblée nationale, beaucoup restent déçues sur de “trop nombreux manquements” du texte. Ainsi l’APGL (Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens) parle d’une “entrouverture de la PMA pour toutes”. Parmi ces manquements, le rejet de la “ROPA”, d’un don de gamètes au sein d’un couple de femmes. Cette mesure a été considérée comme un pas de trop vers la Gestation pour autrui (GPA). Un refus discriminant car il empêche les deux mères d’un même couple d’avoir un lien biologique avec leur enfant. La PMA a par ailleurs été refusée aux hommes transgenres dont l’état civil a été modifié pour correspondre à leur identité, invisibilisant ainsi toute idée de “transernité” (Ndlr: maternité/paternité des personnes transgenres). Et ce, malgré le soutien apporté à cette extension par une poignée de député·e·s, dont le co-rapporteur du texte de loi, Jean-Louis Touraine (LREM). «La transidentité n’est pas une contre-indication à la parentalité», a pourtant à maintes reprises souligné le médecin.
“L’autre grande déception, c’est cette non-autorisation du double don”, ajoute Mariama Soiby. “Car une femme célibataire ou lesbienne avec des problèmes d’infertilité sera exclue d’office, puisqu’elle aura besoin et de sperme et d’ovocytes. C’est presque ironique quand on voit que les “anti” ne cessent de souligner que la PMA est censée être réservée aux personnes ayant une impossibilité médicale avérée. On en revient à un moyen détourné d’exclure des femmes tout en feignant un semblant d’ouverture législative”. La PMA post-mortem a aussi été écartée. Il était question de permettre aux femmes déjà engagées dans une procédure de PMA avec leur compagnon, de la poursuivre si celui-ci venait à décéder, à condition qu’il ait donné son accord avant sa mort.
Des délais encore plus longs pour les fxmmes racisées
Mais si la loi bioéthique passe, les centres de PMA seront-ils prêts à accueillir les nouvelles demandes ? En France, les délais pour un premier rendez-vous avoisinent déjà les six mois. D’autre part, une fois le processus lancé, le délai d’attente pour un don de sperme est aujourd’hui de douze à quinze mois. En signe de soutien, des hommes gays et bisexuels ont fait savoir dans une tribune datant du 25 septembre 2019 qu’ils étaient prêts à donner leur sperme quand la loi passera, en soutien à leurs “sœurs célibataires et lesbiennes”.
Des délais qui s’allongent encore plus pour les femmes racisées. La raison ? Les centres de PMA appliquent le principe “d’appariement” qui consiste à rechercher une donneuse d’ovocytes aux phénotypes proches de la receveuse, à savoir des caractéristiques physiques comme la couleur de peau, de cheveux, des yeux et parfois un groupe sanguin similaire. Selon l’Agence de Biomédecine, pour avoir un enfant qui leur ressemble, les femmes non-blanches attendent ainsi trois à dix ans avant de bénéficier d’un don d’ovocytes, contre deux ans en moyenne pour les femmes blanches. Pour sensibiliser au don, les associations telles que DiivinesLGBTQI+ réclament des campagnes ciblées, mettant en scène des couples noirs, maghrébins et asiatiques.
L’adoption de la PMA “pour toutes” apparaît donc comme une victoire, mais en demi-teinte. « D’un côté on ferait un énorme bond, mais il y a tellement de choses à revoir”, commente Mariama Soiby. “On est vraiment dans un pays des droits de l’homme avec un petit “h”. Olympe de Gouge doit bien ricaner de là où elle est, elle avait bien raison : il faudrait en parallèle une Déclaration des Droits de la Femme, ou à défaut qu’on se rasseye et qu’on fasse une vraie déclaration des droits humains, car là trop de gens sont laissés de côté. » Avant de conclure: « Moi ça a été dur, mais en comparaison d’autres fxmmes, ça a été relativement simple. J’aimerais que celleux qui viennent après n’aient pas à vivre ce que j’ai vécu. »
Bibliographie pour parler avec son enfant, proposée par Mariama Soiby
“Our Story”, chez Donor Conception Project
“Pourquoi je n’ai pas de papa?”, Alice de Page
“Familles”, Ryan Wheatcroft
“Les Graines Magiques”, Céline Lhuillier