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En ce mois des fiertés, une newsletter un peu particulière : le coming-out non-binaire de Malix, cofondateur·ice de Culot. Si tu n’es pas très à l’aise avec les notions de “genre” et de “sexe biologique”, commence par la fin de la newsletter, on t’a mis un lexique 🙂
Mon pronom est « iel »
On n’a pas pour habitude de partager des choses aussi personnelles ici. Mais il nous semble que pour des raisons de clarté et de transparence entre vous et nous, cette fois, c’est important. Et puis il semblerait que l’intime soit décidément politique. Alors voilà : il y a quelques mois j’ai sauté le pas du pronom « iel » et rejoint les 14% des 18-44 ans qui se disent non-binaires. Dans ces lignes, mon coming-out public, ainsi que les quelques ressources qui m’ont aidé·e à y voir plus clair.
Vous avez peut-être remarqué que depuis quelques semaines, des points médians se greffent dans nos stories quand on parle de nous ? La raison, c’est que je suis non-binaire.
Pour le phraser autrement, il me semble que je ne crois plus au genre. Entendons-nous bien, j’y crois quand je regarde à l’extérieur. Le sexisme ambiant, les inégalités, le harcèlement de rue, les violences liées au genre… J’y crois aussi quand des personnes me disent qu’elles sont hommes, ou femmes, peu importe le genre qui leur a été assigné à la naissance. Mais quand je regarde en moi, j’arrive à un point où je ne vois plus de raison de compartimenter. Plus de sens dans le fait de « classer » le « féminin » et le « masculin » qui m’habitent. Plus que deux étagères différentes, je vois un spectre de nuances, dans lequel je peux naviguer sereinement.
Un pull trop petit
Pourquoi se dire que cela serait féminin et ceci masculin ? Que j’aurais une « base féminine » à laquelle j’ajouterais tout un tas de « caractéristiques masculines » ? Il n’y a pas l’aventure, la moto et les pantalons larges d’un côté ; le cœur d’artichaut, Shakira et le syndrome de l’imposture de l’autre. Pour le coup, ces deux « côtés » ont toujours pris beaucoup de place en moi. Au lycée déjà, on m’invitait à des week-ends « entre mecs ». Ma mère m’a déjà dit, en rigolant, « je pensais avoir deux garçons et une fille, en fait j’ai trois garçons ! ». Quand je vais à la poste ou au resto, il arrive qu’on me lâche un « monsieur ».
Ces moments m’ont toujours fait plaisir, d’une certaine manière. Il me semble que ce qui me fait plaisir, ça n’est pas d’être, en soi, perçu·e comme un « monsieur » plus que comme une « madame ». Mais de me dire que mon sentiment profond de manque de sens pour ces notions de féminin/masculin a parlé assez fort pour traverser mon enveloppe corporelle et atterrir dans la rétine de l’autre. Elle l’a traversée suffisamment puissamment pour que la personne en face se dise, « Mince, c’est quoi l’étiquette qui convient, là ? ».
Car si je n’avais jamais questionné mon étiquette de « femme cisgenre » jusqu’à présent, elle m’apparaît maintenant comme celle cousue au col d’un pull trop petit. Tu sais, cet ancien pull en laine que tu aimes beaucoup, dans lequel tu as plein de jolis souvenirs, mais va savoir s’il a rétréci dans la machine ou si tu as pris des centimètres, un jour, tu le réessayes et les manches sont trop courtes, les épaules sont trop serrées. Alors tu le replies, le ranges dans une valise et tu en enfiles un autre, à ta taille.
« Et si j’étais non binaire ? »
« Et si j’étais non binaire ? » Depuis environ un an, cette question débarque par surprise. Au milieu d’un étal de légumes, aux toilettes, sous la douche, en rando, en repas de famille. Depuis environ un an, je la chasse d’un revers de main. Par peur. Peur du nouveau, de l’inconnu.
Mais j’ai arrêté il y a longtemps de considérer la peur comme un panneau « stop ». Je la vois comme un panneau de signalisation, un « attention, virage ». La vie m’a appris que derrière le virage, souvent, se cachent des choses merveilleuses. Alors, quand je me suis senti·e prêt·e, j’ai accueilli cette question le cœur ouvert.
J’adopte donc le pronom « iel ». Et une fois la peur passée, ça fait du bien. J’avais déjà pris mes libertés sur les questions d’hétérosexualité. De monogamie. Restait, je crois, celle-ci avec laquelle j’avais besoin de m’émanciper : mon identité de genre. Cette identité m’a énormément apporté, elle m’a aussi fait souffrir, m’a, dans sa globalité, beaucoup appris et je lui en serai toujours profondément reconnaissant·e. Mais parfois, même quand on aime, il faut savoir dire au revoir.
Sur le GR du genre
Est-ce un « au revoir », un « adieu », un « à une prochaine, peut-être » ? Je n’en sais rien. « Nous traversons le présent les yeux bandés », comme l’écrit Milan Kundera, un écrivain que j’aime beaucoup. Et ce qui compte, ça n’est pas demain, c’est aujourd’hui. Aujourd’hui, ce que je sais, c’est que le pronom « elle » me semble étroit. Que le pronom « iel » est celui qui colle le mieux à ce que je ressens, et qui a le plus de sens. Celui qui vient fluidifier ce que j’avais toujours tenté de compartimenter pour faire cohabiter, sans succès. Aujourd’hui, ce que je sais, c’est que je pars en randonnée sur le spectre du genre. Que j’ai hâte d’en découvrir les crêtes et les sommets.
Quand j’en ai parlé à mon entourage, mes proches m’ont directement encouragé·e. Parfois, j’ai senti ici et là des malaises se poser, des peurs de me blesser en me mégenrant, en se trompant de pronom, en me sortant des « meuf » ou des « poulette ». Comme je sais que chacun·e vit son genre d’une manière différente, j’aimerais juste vous dire que : personnellement, le pronom « elle » ne me fait pas mal. Il me semble juste étrange et lointain. Le pronom « iel », quand je le lis ou l’entend, me met simplement particulièrement en joie. Donc sachez que le sujet est ouvert, que vos questions seront toujours les bienvenues si vous en avez.
Je tenais à partager ces lignes pour une question évidente de visibilité sur la non-binarité. Je tenais aussi à vous écrire ces lignes pour vous dire merci, car je pense que je n’en serais pas là sans vous, qui alimentez nos réflexions et esprits en permanence. Je tenais à vous écrire ces lignes, aussi, car ça fait un peu plus de deux ans qu’on se connaît maintenant, qu’un certain lien de confiance s’est tissé entre nous et qu’il me semble important de vous prévenir quand un changement profond apparaît. Maintenant que c’est dit, si ça vous va, je vais me faire un café et on peut reprendre nos habitudes, à savoir, continuer de poser des pierres, ensemble, pour un monde toujours un peu plus inclusif.
Si je t’ai perdu·e en cours de route, voilà un lexique 
Si tu te poses des questions sur la non-binarité, je te partage ici des ressources qui m’ont aidé·e à comprendre un peu mieux ce dont il s’agissait :
- « Feel Good », saison 1 et 2, de Mae Martin, sur Netflix
- « NB : My non-binary life », un podcast de Caitlin Benedict sur BBC Radio (en anglais)
- « Sex Education », saison 3, sur Netflix
- « Troubles dans le genre », Judith Butler, ed. la Découverte, 1990
- « #3 Être non-binaire : quand l’affirmation de son identité bouscule les normes de genre », podcast « Amphi 25 : parlons discriminations », mai 2021
Sur ma liste à venir :
- « Stone butch blues », Leslie Feinberg, ed. Hysteriques & Associees, 2019 (traduction d’un livre de 1993)
- Tout ce que vous avez envie de m’envoyer sur la question