Margaux : se reconstruire après un viol

Photo : Solène Milcent pour Culot creative, média sur les amours, les genres, les sexualités. Sexpositif et féministe.

TW : viol

“Au collège, j’étais la fille “bizarre” : j’aimais les livres et je ne connaissais aucun youtubeur. Je ne me sentais pas belle, pas aimée, j’étais en total manque de confiance en moi. Et en classe, il y a toujours un bad boy que les filles aiment bien, qu’elles aimeraient voir tomber amoureux d’elles. Je faisais pas exception à la règle, j’étais en totale admiration devant lui.

Un jour, je sais pas comment il a eu mon numéro mais ce gars a commencé à m’envoyer des messages. Il m’a proposé, “si tu veux on va en cours ensemble le matin, tu m’attends en bas de chez moi et on fait le chemin ensemble!” J’avais 13 ans, j’étais encore dans mes contes de fée, ben oui j’y vais ! Je l’ai attendu en bas de l’immeuble et il m’a dit : “attends faut que j’aille chercher mon vélo dans la cave”. Je l’ai accompagné. Sauf qu’il n’est pas allé chercher son vélo. Il a fermé la porte, et il m’a violée. J’avais 13 ans, c’était tout début 2014.

Cerise sur le gâteau, c’était ma première fois et je suis tombée enceinte. A l’époque, je ne savais pas que la pilule du lendemain existait, sinon je serais allée la prendre immédiatement. Mais n’ayant aucune info, en panique, je ne savais pas quoi faire, alors je ne disais rien à personne. Je faisais encore de la gym à l’époque. Au bout de deux mois et demi, je suis tombée deux fois sur le ventre à une séance et j’ai fait une fausse couche.

Je me suis aussi fait harceler à cause de lui. Personne n’aurait rien su s’il n’avait rien dit, mais il racontait n’importe quoi sur moi dans tout le collège. Tout le monde a cru que j’avais couché avec lui et comme il était super populaire, tout le monde le croyait. Sauf que c’était lui qui m’avait violée… Le plus dur, je crois, ça a été de rester deux ans dans la classe de la personne qui m’avait fait ça. En gardant le sourire, en continuant de parler, de faire semblant qu’il ne s’était jamais rien passé. En me disant “Allez on met ça tout au fond”. Sauf que ça finit toujours par remonter.

“Même si ça n’était pas de ma faute, je me suis sentie coupable pendant très longtemps.”

Photo : Solène Milcent, pour Culot Creative

A la sortie du collège j’ai fait le choix d’aller dans un lycée où je ne connaissais personne, et où personne ne connaissait les rumeurs qui avaient circulé sur moi. J’ai commencé à en parler pour la première fois avec une ou deux copines du lycée. Ca m’a fait du bien. J’en ai parlé à mes petits copains aussi, puisque comme je faisais des cauchemars la nuit ca pouvait être un peu impressionnant.

A l’époque, personne ne le savait dans ma famille, pas même ma grande soeur alors que je lui disais absolument tout. J’hésitais. Parfois, j’avais envie de leur dire, pour qu’ils comprennent pourquoi je me comportais comme ça, pourquoi parfois je n’étais pas stable. Même si ça n’était pas de ma faute, je me suis sentie coupable pendant très longtemps. Coupable parce que je m’en suis voulu de ne pas être partie en courant, de ne pas l’avoir frappé, d’être restée immobile. Mais quand t’es en train de te faire violer, tu ne peux pas bouger. T’es là mais t’es pas là, tu réalises pas ce qui se passe. Je m’en souviens juste comme d’une scène figée, c‘est un peu comme si tu mettais sur pause. Je me souviens juste d’être arrivée à l’heure en cours après.

Tu te sens un peu coupable de tout, en fait. Tu te dis que peut être tu l’as mérité, que tu as dit des choses qu’il a mal interprétées, que peut être tu n’aurais pas dû y aller… Mes parents me déposaient tous les jours devant le collège, donc pour y aller je leur avais dit que je commençais à 8h alors que je commençais à 9 h. Et puis à 8h30 j’étais sortie du collège pour arriver au pied de son immeuble, pour revenir avec lui. Même si évidemment pour moi il n’y avait rien, c’était un peu comme aller au parc…

Et coupable, parce que je savais que j’étais enceinte et que je continuais à faire de la gym. Pendant très longtemps j’ai considéré que j’avais tué mon bébé. Il y a une photo, une seule, que je n’arrive pas à effacer de mon téléphone. C’est une photo de quand j’étais enceinte. C’est perturbant, et quand tu sors de ça… tu as l’impression qu’il te manque quelque chose.

Je veux que ça soulève moins d’émotions, qu’on en parle comme d’un vieux Noël
qui se serait mal passé.

J’ai eu un moment de rupture il y a quelques mois. Une amie s’inquiétait de plus en plus pour moi et m’a conseillé de faire un suivi quand elle a vu que je commençais à dérailler au début de mon année de prépa. Et mon copain, aussi, qui me disait : “tu gardes trop de choses enfermées, ça me fait peur, on a l’impression que tu vas exploser à tout moment.” Mon déclic, c’était les autres.

A ce moment, je réalise que je ne peux pas oublier mais que j’ai plus envie de me poser de question. Je veux pouvoir me dire: “c’est fini, ça ne se reproduira plus.” Je veux que ça soulève moins d’émotions, j’aimerais qu’on en parle comme d’un vieux Noël qui se serait mal passé.

Je suis d’abord allée voir le psy de la prépa. Il avait quinze minutes à m’accorder, je lui ai balancé tout ce que j’avais sur le coeur. Je tremblais, ca a été un effort énorme, tout ça pour qu’il me dise de faire… un peu plus de violon. Et il m’a aussi dit en rigolant, “T’es quand même bien un cas psychologique, hein.” Plus jamais j’irai le voir. Je pense que je vais le dénoncer.

Je me suis dit, “appelles-en un autre tout de suite sinon tu n’y retourneras jamais.” J’ai d’abord vu un psy dans un CMP qui m’a vraiment mise en confiance, mais ça prenait trop de temps d’avoir un rendez-vous. Aujourd’hui, j’ai enfin trouvé la psy qu’il me faut, une femme extraordinaire. Je la vois une fois par semaine depuis février. Grâce à elle, j’ai fini par en parler, d’abord à ma soeur et ensuite à mes parents, plus personne n’ignore ce qui s’est passé. J’ai aussi fait le deuil de mon bébé en créant un petit rituel sur les conseils de ma psy.

Les cauchemars, j’en fais vraiment beaucoup moins. Avant je ressentais de la honte, de la culpabilité, un sentiment de malaise énorme. Depuis peu de temps, je ressens de la tristesse, mais je n’ai plus honte, et même s’il m’arrive encore dans des moments de déprime de me sentir coupable, c’est quelque chose qui s’estompe au fur et à mesure des séances de psy et de ma reprise de confiance en moi.”

 

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