L’Espagne veut abolir la prostitution – entretien avec Maria Riot

une journaliste tient un micro à Maria Riot
Maria Riot lors de la manifestation “nada sobre las putas sin las putas” – © Solène Milcent

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Un samedi sur deux, on t’emmène à la rencontre d’une nouvelle thématique liée au combat féministe. Cette fois-ci, Julia interviewe Maria Riot, travailleuse du sexe en Espagne . N’hésite pas à partager notre contenu autour de toi pour nous soutenir !

L'Espagne veut abolir la prostitution

Le 17 octobre, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a annoncé sa volonté d’abolir la prostitution en Espagne d’ici à 2023. Pour cela, il compte faire passer une loi sur la pénalisation du client, loi actuellement en vigueur en France. Afin de mieux comprendre l’impact de cette décision politique sur la vie des travailleur.euse.s du sexe en Espagne, Culot s’est entretenu avec Maria Riot. Maria est travailleuse du sexe et activiste pour les droits des travailleur.euse.s du sexe. D’origine Argentine, elle vit depuis plusieurs années à Barcelone, où elle travaille comme prostituée et actrice pornographique.

Julia Sirieix, le 04.12.2021

Le Premier ministre Pedro Sanchèz souhaite abolir la prostitution en Espagne avant 2023. Vous avez fait partie de l’organisation de la manifestation qui a eu lieu en réponse à cette annonce. Comment cela s’est déroulé ?

C’était très spontané. Nous avons dû tout organiser en deux jours, car la nouvelle est tombée pendant le week-end. C’était très important d’avoir une réaction immédiate, il faut aller aussi vite que possible. On a réuni les travailleur.euse.s du sexe, les allié.e.s qui souhaitaient nous soutenir et la presse. Ça s’est bien mieux passé que ce que j’avais pensé, il y avait plus de 50 personnes à Barcelone et la manifestation a été reprise dans différentes villes, dont Madrid et Valence. En revanche, la presse locale barcelonaise n’a pas beaucoup parlé de nous, mais il y a eu de l’écho à l’international. Je pense que la presse locale ne veut pas prendre le risque d’aller à l’encontre du Premier ministre  en couvrant notre manifestation.

 

Pourquoi ce retournement au sein du débat politique alors que l’Espagne a toujours eu une politique relativement floue, voire permissive, en ce qui concerne le travail du sexe ?

Le Premier ministre et d’autres membres de la classe politique jouent en permanence avec la criminalisation de la prostitution. Iels la voient comme une loi féministe et la présentent comme telle. Pour le grand public qui ne comprend pas l’ampleur de cette question, abolir la prostitution sonne comme une bonne chose : les politiques viennent à notre secours, ils sauvent les femmes… Mais tout ce qu’il font en criminalisant la prostitution, c’est nous mettre plus en danger encore.

Soit on arrête de travailler, soit on trouve une autre manière de survivre. Sauf que la pénalisation du client est déjà en vigueur dans d’autres pays, dont la France, et les résultats sont très clairs : les travailleur.euse.s du sexe continue de travailler, mais dans de biens pires conditions. Le grand public n’a pas ces informations : les grands titres de presse ne souhaitent pas nous donner la parole car nous sommes un groupe marginalisé. Ils ne nous voient pas comme des humains, finalement.

De plus, beaucoup de personnes associent la prostitution avec le trafic d’êtres humains, donc la panique et la bonne morale viennent s’ajouter aux préjugés déjà existants. C’est très difficile de se battre contre cela.

 

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les conditions de travail des travailleur.euse.s du sexe en Espagne aujourd’hui ? 

Pour le moment, la prostitution n’est ni légale ni illégale.

Et en France ?

Cela fait maintenant 5 ans que la loi de racolage a été abrogée, le 13 avril 2016, pour laisser place à la pénalisation du client. Concrètement, cela signifie que du point de vue de la loi, on considère les travailleur.euse.s du sexe comme des victimes et qu’il faut punir les clients et les proxénétes. Un client est passible d’une contravention de 1 500€ et d’un stage de sensibilisation. Depuis le vote de cette loi, 1 300 client.e.s de prostituées ont été verbalisé.e.s en moyenne par an en France. 

 

Cette loi continue de diviser l’opinion publique et les associations. En effet, la pénalisation de la prostitution ainsi qu’une posture politique abolitionniste voire prohibitionniste, aurait tendance à forcer les travailleur.euse.s du sexe à s’éloigner des centres-villes. Iels peuvent donc plus difficilement recevoir l’aide des associations et sont plus vulnérables face à des client.e.s violent.e.s. 

 

Dans le cadre d’une enquête sur la pénalisation du client, Nicolas Mai, professeur à l’université Aix-Marseille, après de nombreux entretiens avec des travailleur.euse.s du sexe, explique que “Beaucoup des répondants, à la fois migrants et non-migrants, estiment que les effets de la pénalisation des clients ont été partiellement anticipés car les prix ont diminué et que les clients les plus sûrs ont arrêté de les contacter par peur d’être condamnés à une amende”. 

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