Cette semaine dans la newsletter de Culot
Romans, textes militants, essais… Tout cela, dans la série : « sky’s the limit » quand il s’agit de rendre ta bibliothèque sexy intellectuellement
Rentrée : 10 recos lecture aléatoires

Qui dit rentrée, dit besoin de recharger les batterie de sa bibliothèque idéale. Voici donc une sélection de ce qui se fait de mieux – selon nous – en matière de romans, essais et ouvrages militants. A lire et à découvrir avec un carnet et un crayon non loin de soi, car si tout se passe bien, vous aurez envie de conserver quelques citations avec vous. Bonne lecture !
Par Jessica Martinez, le 17.09.22
1 – « Les aventures de China Iron », Gabriela Gabezon Camara, Éditions 10/18
Odyssée fantasque et queer, « Les aventures de China Iron » est la claque de mon été 2022. Il raconte le destin plusieurs fois bouleversé d’une adolescente deux fois mère à 14 ans, qui fuit un mariage et un quotidien violent en suivant une aventurière britannique, elle-même en quête d’une autre vie dans l’Argentine du XIXème siècle. A leurs pas vont se mêler ceux d’un chiot, puis d’un homme, eux aussi blessés par le monde qui les entoure. Un étrange cortège que l’on voit se transformer en un clan solide au fil des pages et des obstacles posés sur leur route.
Pour son second roman, Gabriela Gaberon Camara revisite le mythe du « gaucho* » argentin (NDLR : l’équivalent de « cowboy »), version féministe. En donnant une voix à un personnage jamais écrit : de fait, l’autrice imagine le destin de la femme de Martin Fierro, héros du poème épique « El Gaucho Martin Fierro » écrit en 1872, immense succès en Argentine. Dès sa rencontre avec l’aventurière Britannique de 20 ans son aînée, China se donne elle-même un nom, découvre les textures d’un monde dont elle n’imaginait pas l’immensité, et apprend chemin faisant, que son avis et sa vie comptent.
2 – « Les femmes n’ont pas d’histoire », Amy Jo Burns, Éditions 10/18
Pour comprendre ce roman, il faut d’abord visualiser l’endroit où il se situe : les Appalaches, une chaîne de montagnes de l’Amérique du nord. Pentes escarpées, ciel colérique toujours à un nuage d’une tempête, hiver glaçant,… y vivre constitue déjà pour les personnages un effort quotidien. C’est là qu’est née et que grandit Wren, une jeune fille de 15 ans. Son père, frappé par la foudre lorsqu’il était adolescent, est éleveur de serpents et prédicateur. Sa mère Ruby, dont la beauté dans cette contrée semble être la seule valeur, tente comme elle peut d’adoucir un quotidien erratique en apprenant tout ce qu’elle sait à sa fille. Iels vivent reclus, loin de la société, et ne s’y mêlent que lorsque le père propose d’étranges baptêmes à des adeptes de plus en plus rares. Mais au détour d’un événement inattendu, puis d’une rencontre avec un garçon de son âge, Wren va peu à peu déterrer les secrets de sa famille pas comme les autres. Et comprendre qu’elle n’a pas à vivre recluse, au fond de la montagne.
Un roman sur la possessivité, l’emprise, les violences intra-familiales et conjugales et le lourd tribut payé par les femmes aux sociétés patriarcales. Un roman, aussi, qui décrit la seconde naissance au monde d’une adolescente étonnante, façonnée par la montagne et la règle du silence.
3 – « Et Dieue créa le sexe », Thomas Piet, Éditions Kiwi
Imaginez vous réveiller un matin, découvrir une lettre et réaliser qu’elle est écrite … Par Dieue. Et que Dieue n’est pas un vieux barbu, mais une femme. C’est ce qui arrive à un couple, et ce, alors qu’iels traversent justement un moment d’incompréhension et de tensions lié à leur sexualité. Une correspondance bienveillante, drôle et sex-positive s’engage alors entre les trois personnages. Consentement à l’extérieur et à l’intérieur du couple, gestion de la jalousie et écoute de l’autre ou encore fluctuation de libido et masturbation, aucun sujet n’y est tabou. Un cours d’éducation sexuelle sous la forme originale d’un roman, qu’on a particulièrement aimé à la rédac.
Le point en plus ? Il est écrit par un homme cis, qui montre, via le personnage principal, les différentes étapes d’une (de “sa” ?) déconstruction masculine sur les questions de féminisme et de sexualités. Cela, avec tous les différents « temps » que le processus comporte : déni, colère, puis finalement apaisement et reconnaissance des oppressions subies par l’autre. Et c’est très très (très) bienvenu.
4 – « Le cœur des zobs », Bobika, Éditions Mâtin !
Tenez-vous à vos slips, prenez une grande goulée d’air frais et surtout ne faites pas l’erreur – comme moi – de tenter de boire en lisant cette BD : l’objet sus-mentionné n’y survivrait pas. La raison ? Impossible de ne pas rire une page sur deux, sur un sujet qu’il me semblait justement impossible de rendre drôle : la contraception.
Parfois, il suffit d’une conversation de couple pour changer de perspective. C’est ce que vit un jour le dessinateur Bobika, lorsque sa compagne, épuisée par la charge contraceptive et ses effets secondaires, lui demande de gérer désormais la contraception dans leur couple. S’ensuivent de son côté recherches, rencontres avec des médecins et des militant.e.s, questionnements sur les stéréotypes de genre qui l’ont atteint sans qu’il le réalise, etc. Le tout, avec un objectif : la conquête de ce qui se fait de mieux en matière de contraception dite masculine.
Slip chauffant, anneau andro-switch, ou encore vasectomie, explorer ces possibles est aussi l’occasion pour l’auteur et dessinateur de BD de revenir sur une histoire de la contraception plus que problématique, dont les évolutions ont suivi tour à tour des politiques natalistes ou anti-natalistes, bref, des politiques gouvernementales de contrôle des corps. On y apprend par exemple qu’en matière de droit à disposer de son corps librement, la France n’est pas mieux lotie que les autres pays : la pilule contraceptive destinée aux femmes n’y est légalisée qu’en 1967. Une bande dessinée aussi hilarante qu’elle est bien documentée.
5 – « Noirceur – Race, genre, classe et pessimisme dans la pensée africaine-américaine au XXIème siècle », Norman Ajari, Éditions Divergences
S’opposant aux visions simplistes ou iréniques de la pensée africaine-américaine actuelle, l’auteur présente divers débats contemporains, théories iconoclastes et stratégies politiques afin de repenser l’avenir des vies noires aux États-Unis et dans le monde. Norman Ajari est docteur en philosophie, enseignant à l’université Villanova de Philadelphie et membre du bureau exécutif de la Fondation Frantz-Fanon. Son texte est ainsi présenté : « Dans l’histoire des pensées afrodescendantes, le pessimisme ne porte pas sur les Noirs, mais sur la capacité des sociétés blanches à dépasser sa négrophobie. Et si les idées et réformes que nous tenons pour progressistes n’étaient que des métamorphoses du racisme ? ». Un essai passionnant et sans concession sur le point suivant : nous avons communément besoin de nommer davantage le racisme systémique envers ce que l’auteur appelle les « vies noires » afin de réellement lâcher la main du racisme.
6 – « T’as un joli visage », Céline Ségure et Shérazade Leksir, Éditions Kiwi
« En 2020, dans la population française, 17 % des adultes étaient en situation d’obésité, soit près de huit millions d’individus. Pourtant, vous ne comptez probablement pas une personne grosse pour dix personnes qui vous entourent au travail. » Shérazade Leskir, aka @stopgrossophobie, et Céline Ségure signent une enquête sur la grossophobie en France. Elles partent de l’invisibilisation systémique des personnes considérées comme « grosses », c’est-à-dire n’étant pas dans les « tailles de corps standards acceptées par la société ». Puis, elles présentent des solutions pour désapprendre la grossophobie, et pour que les personnes concernées puissent regagner en estime de soi. Ainsi sont mentionnés les concepts de body neutrality (pendant du « body positivity »), mais aussi des contacts de soignant.e.s « safe » via l’annuaire en ligne du site “Gros.org”, ou encore les droits d’une personne en matière de harcèlement au travail. Clair, bienveillant, éducatif, un ouvrage aussi nécessaire pour les personnes concernées que pour leurs allié.e.s.
7 – « Tu sera une mère féministe ! Manuel d’émancipation pour des maternités décomplexées et libérées », Aurélia Blanc, Éditions Marabout (En librairie le 21 septembre)
Cet essai est né d’une question de son autrice, « Le féminisme est-il soluble dans la maternité ? ». Mais aussi du désenchantement de sa première réponse. « Mon entrée dans la maternité a été un tsunami. Devenir mère a été pour moi à la fois une très grande joie, mais aussi la source d’une grande, très grande colère. Parce qu’avec la maternité, les inégalités genrées m’ont rattrapée ». Tour à tour coup de gueule et outil émancipateur, cet ouvrage décortique les mécanismes qui conduisent les femmes à se sentir épuisées, surmenées et défaillantes, à peine leur costume de mère enfilé. Quatre ans après la sortie de « Tu seras un homme – féministe – mon fils », la journaliste Aurélia Blanc signe le livre qu’elle aurait sans doute voulu lire en devenant mère.
Entre exigences politiques, comme la nécessité de créer une vraie politique d’accompagnement du post-partum, et conseils très concrets, comme l’apprentissage de la paresse maternelle ou encore meilleure répartition de la charge parentale, ce livre s’adresse autant aux mères qu’aux pères. Car dans son livre, Aurélia Blanc formule clairement la demande à ces derniers d’arrêter de tourner le dos aux lourdes conséquences des inégalités de genre dans la parentalité.
8 – « Précis de culture féministe pour briller en société patriarcale », Sabrina Erin Gin, Éditions Leduc
Sur le compte instagram @olympereve, Sabrina Erin Gin décortique et dénonce, entre humour et colère, les mécanisme du patriarcat. Elle signe ici un essai dont j’ai souvent le sentiment d’avoir besoin : un panel d’arguments, de chiffres, d’enquêtes à dégainer sur des thématiques diverses, quand il s’agit de recadrer Mr ou Mme « Moi, je ne comprends pas le féminisme » à un repas de famille.
Besoin de dégainer un contre-argument en deux secondes ? Pas de problème avec ce « précis ». Vous y apprendrez par exemple que Napoléon avait imaginé deux poids deux mesures pour punir l’adultère : une amende si le coupable est un homme, une peine de prison (seulement amoindrie au bon vouloir du mari) si la coupable est une femme. Ou encore qu’il a fallu attendre 1992 pour que la France commence à un long chemin pour reconnaitre le viol conjugal. Et quand on vous dira que les féministes sont parfois « violentes » verbalement, n’hésitez pas à utiliser cette statistique, qui ne bouge presque pas au fil des ans : « En 2019, en France, sur 549 412 condamnations prononcées toutes juridictions confondues, 90% sont des hommes ». De quoi faire planer un silence sympa au prochain repas de famille, avant de reprendre une grande louche de tiramisu.
9 – « La grosse laide », Marie-Noëlle Hébert, Éditions Équateurs
Premier roman graphique et récit autobiographique de l’autrice et dessinatrice, « La grosse laide » est un album sublime qui aborde avec sensibilité un sujet encore peu évoqué : les mécanismes et conséquences de la grossophobie. On y suit Marie-Noëlle qui, en grandissant, découvre dès l’enfance que son corps ne correspond pas aux critères physiques de beauté du monde qui l’entoure. Mais, née femme, elle va pourtant se lancer dans une quête et une torture éperdue pour essayer de s’y conformer.
Le dessin est si somptueux et subtil qu’il se passe souvent de mots. Mais ces derniers sont là, ils ont une poésie et une force incroyable. « C’est lourd une enfance remplie de Barbie et de princesses toutes pareilles. Je performerai la féminité si je le désire. A ma manière et quand je le veux. Gras inclus ». L’histoire d’une détestation de soi savamment éduquée par la famille et la société ; puis d’une reconquête de cet amour, qui était juste enfoui, en attente.
10 – « Cher connard », Virginie Despentes, Éditions Grasset
Cette liste ne serait évidemment pas complète sans le nouveau roman de Virginie Despentes. Sa forme est une première pour l’autrice : une correspondance entre Rebecca et Oscar. Elle est actrice, lui est un écrivain dénoncé via le hashtag #MeToo par une ancienne collègue. Tous deux se connaissaient enfants, mais ne se sont pas revus depuis des dizaines d’années. Une critique acerbe de sa part à lui va les faire renouer. S’engage une conversation comme on en rêverait : la confrontation entre une actrice féministe et un homme cis qui voit bien que la société évolue autour de lui, mais qui se trouve en même temps incapable de réelle remise en question. Le duo devient un trio quand l’ancienne collègue Zoé Katana entre en scène pour raconter sa version des faits. Un texte magistral qui permet à la fois à Virginie Despentes d’imaginer comment la nouvelle vague féministe est perçue par un homme que cela dérange, tout en asseyant mot après mot, phrase après phrase la puissance et la légitimité d’une sororité en colère. Écarté du Goncourt, Cher connard est en tête des ventes depuis sa sortie, avec déjà plus de 60 000 exemplaires écoulés.
Extrait d’une lettre de Rebecca, p.73 : « Imagine qu’à la place des femmes qui sont tuées par les hommes, il s’agisse d’employés tués par leur patrons. L’opinion public se raidirait davantage. Tous les deux jours la nouvelle d’un patron qui aurait tué son employé. […] C’est quand tu transposes que tu réalises à quel point le féminicide est bien toléré. Les hommes peuvent te tuer. Ça flotte au-dessus de nos têtes. »
11 – « Starstruck », Rose Matafeo avec Alice Snedden, BBC (actuellement diffusée sur Canal+).
T’as capté le double plot twist ? Non seulement il n’y a pas “que” 10 reco, mais 11 ! Et en plus la 11ème est une série. La demande pas en librairie celle-là
Je serai pour toujours une tâche dans son passé sexuel ». Cette phrase est dite sous couvert d’humour, mais elle plante bien l’enjeu principal de cette série féministe. Ces mots sont ceux de Jessie, après qu’elle ait passé la nuit avec un acteur très connu. Vous l’aurez peut-être deviné, Jessie a le malheur de ne pas correspondre aux critères de beauté physique de la société occidentale actuelle. Grande, un peu ronde, une imposante masse de cheveux frisés, mais surtout hilarante, sincère, positive, affirmée… Tout le contraire de Tom Kapoor, l’acteur mondialement connu qu’elle vient de rencontrer et qui, lui, répond aux canons actuels : mince, sportif, mâchoire carré, sourire hollywoodien.
Des clichés qui semblaient les opposer, mais par les biais desquels Rose Matafeo, actrice principale et créatrice de la série, va les réunir. Une série qui se moque de cette attention portée sur la beauté physique (surtout quand il s’agit d’une femme), de la superficialité des relations ou encore des stéréotypes de genres, qui nous fait hurler de rire tout en tombant amoureux.se des personnages principaux. A voir absolument, de préférence en état de binge-watching assumé.