Daphné* : la blessure de la trahison

Photo : Portrait de Daphné*, par Solène Milcent

“Il y a un an, cette rupture a mis à mort la personne désirable que je pouvais être. Il m’a trompée, il m’a quittée un an après qu’on ait eu un enfant ensemble, et il a eu un discours tellement dur envers moi que je me suis sentie comme morte – y compris au niveau de ma sexualité. Pendant l’accouchement, mon corps a été déchiré, malmené, refaire l’amour a été un combat en soi. Alors quand il m’a dit même pas un an après la naissance de notre enfant qu’il avait commencé à avoir une liaison, pour moi c’était pas uniquement une trahison amoureuse c’était aussi une trahison de notre couple, de notre sexualité. Quand en plus il m’a dit que les dernières fois qu’on avait fait l’amour, dont la veille de la rupture, il s’était forcé, pour moi, c’était d’une violence sans nom. Alors en venant, je pensais que j’allais raconter une histoire en lien avec cet ex. Mais en fait, je ne vais pas lui faire ce plaisir.
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Il y a quelques semaines, un mec avec qui je sortais quand j’avais 21 ans a ressurgi dans mon existence. C’est le premier homme qui m’a fait me sentir belle. Et de nouveau, il me fait me sentir belle. On s’est quittés il y a longtemps et depuis de l’eau a coulé sous les ponts, il est revenu de façon hyper spontanée. Les compliments qu’il me disait il y a 15 ans, il me les dit à nouveau. Il m’a fait aimer une partie de mon corps que je trouvais vraiment moche : mes fesses. Je suis quelqu’un de très complexé, j’ai dû faire des régimes depuis ma plus tendre enfance, à 12 ans je me disais déjà, ”allez je vais arrêter de manger du pain !” Comme pour beaucoup, la confiance en soi c’est pas un acquis, ça a été un gros travail et ça en est encore un aujourd’hui.
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Mais cet homme là… quand on s’est vus il m’a dit: “j’ai tout appris avec toi”. Et en fait, j’ai dit “mais moi aussi !” J’ai appris l’amour, j’ai appris à faire l’amour, j’ai aimé son corps, il a aimé le mien, on s’est désirés, on s’est voulus, on s’est rappelé des milliards de souvenirs. C’était toute ma jeunesse qui défilait sous mes yeux en même temps que je le revoyais.

“Je pensais que j’allais raconter une histoire en lien avec cet ex. Mais en fait,
je ne vais pas lui faire ce plaisir.”

Photo : Solène Milcent, pour Culot Creative

Quand on était ensemble, on vivait encore chez nos parents. On se retrouvait dans un petit endroit près d’une rivière, pas très loin de chez mes parents et on passait des heures dans sa petite clio, à être ensemble, à se caresser, à faire l’amour, à refaire le monde, à écouter de la musique, à fumer des cigarettes, à boire du whisky. 
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Avant lui, je n’avais jamais vu mon corps comme un corps potentiellement sexy. Avec lui, c’était un apprentissage du corps. Du corps amoureux, du corps désirant. Il adorait mes fesses. Je pensais que mes seins étaient ce qu’il y avait de plus sexy chez moi, et en fait ce qu’il adorait c’était mon cul ! Il me disait en riant, “ah, ton cul, ton cul ! C’est sexy c’est rond, mais c’est pas gros c’est ferme, on a envie de s’y fourrer, on y passerait des heures !” Pour moi c’était incroyable, je pensais pas que mes fesses pouvaient susciter autant de poésie ! Ce que je retiens de cette histoire, au-delà de l’amour fou que j’ai pu ressentir pour lui, c’est qu’il a changé complètement mon rapport à mon corps. 
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Le père de mon enfant a adoré mes fesses jusqu’au moment ou il ne les a plus aimées. Mais là, revoir ce mec, dans l’état initial, alors que je n’ai pas confiance en moi, que je me dis que je suis moche et que je ne vaux rien… Il a réussi à retrouver les mots pour me faire me sentir belle. Et toujours, cette partie de mon corps a un effet sur lui. Ce qu’il m’offre, ça n’a pas de prix. Ce n’est pas du tout un truc égotique, égocentrique, c’est tellement agréable, d’avoir ça dans un quotidien qui n’est pas toujours facile, des petits instants un peu suspendus dans le temps où je retrouve mes 20 ans, où je retrouve le temps de prendre le temps. On ne baise pas en cinq minutes, on prend le temps, parfois on baise même pas du tout. En le revoyant, j’ai l’impression de retrouver une forme d’adolescence ou de post adolescence, un peu légère et à la fois très jolie et poétique. Un peu comme un pansement sur mes failles récentes et mes failles plus anciennes. Ca a créé un lien vraiment indéfectible entre lui et moi, c’est un peu à la vie à la mort. Il n’est pas l’homme de ma vie, mais il a cette place là.
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Finalement cet épisode est une sorte de redécouverte.

 

La sexualité c’est quelque chose qui peut tellement donner de pouvoir mais qui peut aussi rendre tellement vulnérable. C’est à double tranchant, on peut passer de l’un à l’autre très vite. Il y a ce moment où tu te sens jolie dans le regard de quelqu’un, où tu as l’impression que tu pourrais soulever des montagnes. Et puis il y a des fois où tu te sens plus bas que terre parce que t’as l’impression que tout ce que t’as réussi à construire en confiance en toi peut être balayé d’une phrase, d’un regard, d’un truc insignifiant. C’est un combat qui n’est jamais acquis pour moi. Les injonctions sont tellement fortes que je me sens tiraillée entre des milliards de trucs. Il y a des moments où je me dis, “t’es hyper libre, t’as couché avec plein de mecs, sur ton lit de mort tu pourras pas regretter!”, et d’autres où je me dis “à quoi bon, tu te sens comme si t’étais une débutante, alors que bon, t’en as vu quoi.”
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Le père de mon enfant m’a dit des trucs qui m’ont marquée durablement, contre lesquels je lutte toujours. A un moment, je n’arrivais plus à me regarder dans la glace. Aujourd’hui, je redécouvre et je réapprivoise ce corps qui a été un peu déformé par cette grossesse, avec des kilos qui n’étaient pas partis, puis qui a perdu beaucoup de poids suite à cette rupture.
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Finalement cet épisode est une sorte de redécouverte. C’est comme si ça gommait un peu tout ce que je m’étais pris dans la gueule l’année dernière. Je trouve que c’est une formidable façon de raconter quinze ans de vie d’une femme. C’est un parcours qui n’est pas linéaire, avec des moments plus difficiles, notamment cette rupture qui est encore à vif, mais je préfère me concentrer sur cette boucle qui s’est bouclée de façon si jolie. Je me dis, peut être que mon corps a fait le deuil de mon ex et que je suis prête à ce que quelqu’un d’autre trouve mes fesses jolies. Et puis moi, à trouver les fesses de quelqu’un d’autre jolies aussi ! Mon ex avait de belles fesses, mais il n’a pas été un cul solidaire. Je veux un cul solidaire, je veux un cul bienveillant. C’est le moment où je lui botte le cul, et où je suis prête à en caresser un autre.”

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